Une femme libre et moderne

Chana Orloff n'a jamais eu ni maître ni élève, elle occupe pourtant une place majeure dans l'histoire de l'art. Expérimentant toutes sortes de matériaux comme la terre cuite, le bois, le bronze, le ciment ou le plâtre, elle s'est imposée comme l'une des plus grandes sculptrices et portraitistes de son siècle.

Photo de famille à Odessa, au départ pour la Palestine en 1905
Photo de famille à Odessa, au départ pour la Palestine en 1905

L'enfance, de l'Ukraine à la Palestine

Chana Orloff naît le 12 juillet à Tsaré-Constantinovska, petite ville d’Ukraine. Elle est la huitième d’une famille de neuf enfants. Sa mère et sa grand-mère sont sages-femmes. Son père est instituteur, puis, quand les juifs ont eu l’interdiction d’exercer ce métier, il devient commerçant. En 1905, sa famille émigre en Palestine. Son père cultive la terre et Chana aide ses parents en faisant des travaux de couture.

Chana et « Ma petite sculpture », 1912
Chana et « Ma petite sculpture », 1912

Paris et la découverte des arts

En 1910, Chana arrive à Paris et devient apprentie dans la maison de haute couture Paquin. L’année suivante, elle est reçue deuxième au concours d’entrée de l’École des arts décoratifs et fréquente l’Académie Marie-Vassilief. Elle rencontre de nombreux artistes dont Picasso, Foujita, Apollinaire, Modigliani… et réalise sa première sculpture, un portrait de sa grand-mère, d’après photo.

Chana avec son fils Didi dans son atelier rue d’Assas, en 1924
Chana avec son fils Didi dans son atelier rue d’Assas, en 1924

Artiste, épouse et mère

En 1916, Chana épouse Ary Justman, poète polonais. Elle expose alors aux côtés de Matisse, Rouault, Van Dongen. Elle participe avec Ary à la revue d’avant-garde SIC. que vient de créer Pierre Albert-Birot. Paraissent les « Pensées poétiques » d'Ary Justman, accompagnées de reproductions de sculptures. Leur petit garçon, Elie, surnommé Didi, naît après deux années d’union. En 1919, Ary, qui s’est engagé dans la Croix-Rouge américaine, meurt de la grippe espagnole, laissant Chana et leur fils seuls à Paris.

Chana sculptant « Buste de femme », 1930
Chana sculptant « Buste de femme », 1930

La portraitiste d'une époque

Chana Orloff devient au début des années vingt la portraitiste de l’élite parisienne. Le portrait restera l’un de ses thèmes de prédilection. En 1925, elle obtient à la fois la nationalité française et la Légion d’honneur et devient sociétaire du Salon d’automne. Elle expose à Paris et à Amsterdam et fait construire sa résidence-atelier par Auguste Perret, villa Seurat à Paris.

Elle part en 1928 pour un premier voyage aux États-Unis, où elle expose dans la galerie d’avant-garde Weyhe Gallery à New York. Cette exposition particulière sera reprise par de nombreuses galeries de la côte Est à la côte Ouest.

En 1930, Meïr Dizengoff, premier maire de Tel-Aviv, lui rend visite et lui demande de l'aider à créer le musée de Tel-Aviv. Pendant les quatre ans que durera la construction du musée, elle réalise de nombreux portraits de personnalités du monde des arts. Sa première exposition au musée de Tel-Aviv en 1935 remporte un grand succès. Elle participe en 1937 à l’exposition « Les maîtres de l’art indépendant » au Petit Palais avec une trentaine de sculptures.

Chana avec l’« Amazone », années 40
Chana avec l’« Amazone », années 40

Guerre, sculpture et résilience

Après l’exode, revenue à Paris alors occupé, Chana Orloff mène une vie difficile et, bien que constamment en danger, continue à travailler. Elle effectue une série de petites pièces qu’elle nomme « sculptures de poche ». À la veille de la rafle du Vél' d'Hiv, elle est prévenue par deux amis français – son fondeur, le célèbre Rudier, qui sauvera nombre de ses œuvres, et un haut fonctionnaire de la police – que son arrestation est imminente. Elle quitte son atelier et part, avec son fils, à Grenoble, puis à Lyon où ils rencontrent le peintre Georges Kars. Ensemble, ils réussiront à franchir la frontière franco-suisse.

En 1945, elle expose ses œuvres réalisées en Suisse à la galerie Georges-Moos à Genève ; la critique est enthousiaste. Elle revient à Paris à la Libération et trouve son atelier saccagé et pillé par les nazis. Elle se remet au travail. Un an plus tard, elle expose à la Galerie de France une trentaine de sculptures et une série de dessins. La sculpture intitulée « Le Retour », exprimant le calvaire d’un déporté, bouleverse la critique. Interrogée par des journalistes sur sa vie en Suisse, Chana Orloff évoque surtout celle de Georges Kars. Incapable après la guerre de reprendre une vie normale, le peintre se suicide au lendemain de la Libération, sautant du deuxième étage de l’hôtel genevois où Chana Orloff l’avait installé la veille.

Avec la sculpture « Sigmund Stern », 1948
Avec la sculpture « Sigmund Stern », 1948

Succès international

La période de 1946 à 1949 est celle des grandes rétrospectives et de la consécration définitive de Chana Orloff. Après Paris, l'artiste expose à Amsterdam, Oslo, New York, Chicago, San Francisco.

« Quelle joie, écrit le poète Yvan Goll, de retrouver à New York, à la galerie Wildenstein, cette artiste puissante dont le visage et l’œuvre sont si familiers aux Montparnassiens… Les œuvres qu’elle nous présente chez Wildenstein attestent que « sa poigne » n’a rien perdu de sa vigueur et de sa force mâle, mais une profonde humanité enveloppe ses personnages de la tendresse amoureuse… »

Chana, autour de 1965
Chana, autour de 1965

Israël comme dernier atelier

Chana arrive en Israël en 1949, après une tournée triomphale en Europe et aux États-Unis. Elle expose au musée de Tel-Aviv, à Jérusalem et à Haifa. Elle travaille dans le pays et réalise, entre autres, le portrait de David Ben-Gourion ainsi que la Maternité érigée à Ein Guev à la mémoire de Chana Tuchman Alderstein, membre de ce kibboutz, tombée au cours de la guerre de libération. Pendant les dix années suivantes, parallèlement à sa sculpture d’atelier, elle exécute de nombreux monuments liés à l’histoire de l’État d’Israël.

En 1961 a lieu la grande rétrospective au musée de Tel-Aviv, au musée Bezalel à Jérusalem, au musée d’Art moderne de Haifa et au musée d’Art de Ein Harod. Après Israël, l’exposition est présentée à la galerie Granoff, place Beauvau à Paris. En 1965 elle expose au musée de Herzélia et un important bas-relief en bronze, une Colombe de la paix, est dévoilé à la Maison de la Nation (Binyaneh-Ha’ouma) à Jérusalem.

En 1968, Chana Orloff arrive en Israël pour une exposition rétrospective au musée de Tel-Aviv, à l’occasion de son 80e anniversaire. Tombée malade, elle s’éteint à l’hôpital de Tel Hashomer, près de Tel-Aviv, le 18 décembre 1968. Elle sera enterrée au cimetière Kriat Shaul à Tel-Aviv. Elie, son fils, fera poser sur sa tombe le monument funéraire sur lequel elle travaillait.

Chana, selon eux

Ils l’ont rencontrée, connue, ou ont connu ses œuvres et ils en parlent, découvrez le travail de Chana Orloff à travers leurs témoignages.

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Portrait de Chana Orloff
Portrait de Chana Orloff